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Les sourds ne sont pas des malades (Presse)

Pourquoi le projet de loi sur le dépistage précoce de la surdité soulève-t-il un tollé??

Les sourds ne sont pas des malades

Par Jean Dagron, docteur (*).

Le 30 novembre, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une loi sur la généralisation du dépistage précoce des troubles de l’audition. L’objectif paraît louable. Surprise?: de nombreux députés s’abstiennent pendant que des milliers de personnes manifestent dans les grandes villes. Qui sont ces opposants??

Des sourds qui disent?: «?Nous ne sommes pas des malades.?» Avec cette loi, la surdité prend place à côté de la mucoviscidose ou de l’hypothyroïdie précoce. Cette idéologie envahissante influence déjà des députés qui parlent de la LSF (langue des signes française)?; langue de la République, comme d’un «?traitement?», d’un «?langage?» ou d’un «?outil de communication?». Quel est le statut de celui qui, au deuxième jour de la naissance, sera étiqueté comme un «?malade?»?? Une vie «?qui ne vaut d'être vécue?» que sous condition d’être soigné, implanté, «?sonorisé?»??

Des parents d’enfants sourds et des psychologues inquiets des effets délétères d’un dépistage aux premiers jours de vie dans la relation mère-enfant. Avec la technique employée, huit enfants sur dix repérés sont des faux «?positifs?». Cela va faire 1 à 2?% de parents inquiétés pour rien en France. La seule étude réalisée corrobore la majoration de l’anxiété.

Des médecins évoquant le coût exorbitant (18?millions d’euros annuels) pour connaître quelques semaines plus tôt la surdité de trois à quatre cents enfants en France (sans qu’aucune étude sérieuse sur les éventuels bienfaits d’un dépistage ultraprécoce n’existe). Ils proposent un dépistage au 4e, au 9e mois. Cette proposition est rejetée en raison de plus grandes difficultés à organiser un dépistage de tous les enfants. Les considérations techniques passent avant l’intérêt de l’enfant. C'est une des raisons pour lesquelles le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé contre ce dépistage néonatal. La présence de médecins aux côtés des sourds marque la division du corps médical sur la surdité. Dans l’état actuel de la diversité des opinions, personne ne peut prétendre parler seul au nom de la science et de la médecine.

Une telle précipitation à légiférer, contre l’avis de nombreuses personnes concernées et de toutes les associations de sourds, est étonnante.

Analyser l’accompagnement actuel des familles est le préalable. Il est le monopole des spécialistes du son. Les conséquences n’en sont pas minces. Un exemple?: la recommandation du CCNE de 1994 de l’apprentissage de la langue des signes au bénéfice de tout enfant implanté n’a jamais été débattue et encore moins organisée. L’implantation cochléaire coûte 40?000 euros par enfant. Tout est organisé et gratuit. Où a-t-on introduit la gratuité de l’accès à la LSF dès l’annonce de la surdité?? Des professionnels de la langue des signes compétents ont-ils une place institutionnelle?? Nulle part. La filière de soins actuelle induit que le dépistage néonatal débouchera automatiquement sur un rendez-vous pour une implantation cochléaire précoce. Le droit formel de l’enfant sourd à inscrire ses yeux et ses mains dans une modalité langagière signée doit devenir un droit réel. Sans la participation de ceux qui connaissent la vie sourde au quotidien (les professionnels sourds, les parents d’enfants sourds, les professionnels entendants bilingues…), une information «?neutre?» et plurielle n’a aucune existence. Des garanties législatives sur les modalités d’annonce, d’information et d’accompagnement élaborées après consensus de «?tous?» les acteurs seraient un progrès décisif dans le choix réel des parents et le droit des enfants sourds à ne pas continuer à être privés d’une des deux langues dont ils ont besoin.

 

(*) Auteur des Silencieux, Presse Pluriel.

Jean Dagron
http://www.humanite.fr/

2011/03/04 11:53 - BB