Les sourds du Loiret rompent le silence
Après avoir manifesté, fin septembre, contre le manque de reconnaissance, plusieurs associations de sourds ont décidé de former un collectif. Problème numéro 1 : le manque d'interprètes.
Plus que toute autre communauté, ils sont invisibles, handicapés par une surdité qui passe inaperçue. En septembre, lors de la Journée mondiale des sourds, une vingtaine d'entre eux, membres d'associations du Loiret, ont choisi de sortir de l'ombre. Vêtus de blanc, ils ont manifesté leur mal-être rue de la République, à Orléans.
Manque de reconnaissance, crainte de voir disparaître leur identité, les sourds ont voulu faire prendre conscience de cette « barrière » qui les sépare du « monde des entendants ». Une barrière qui tient surtout au manque d'interprètes. Le Loiret ne compte qu'une seule professionnelle diplômée pour plusieurs centaines de sourds. Pour peser davantage, les associations viennent de créer un collectif. Il se penchera notamment sur la question de l'accueil des sourds à l'hôpital. « On a besoin d'interprètes pour aller chez le médecin, pour les démarches administratives, pour suivre des formations », plaide Marie-France Percevault, présidente de la Maison des sourds du Loiret.
Un manque de ressources
Celle qui a grandi dans une famille de sourds, et qui l'est devenue à l'âge de 1 an, à la suite d'une otite, exprime sa colère par la voix d'une autre, venue d'un centre-relais à Paris. « Quand j'ai besoin de téléphoner, je les appelle et par visioconférence, une interprète traduit les signes à mon interlocuteur. » Le système est financé par son employeur, une caisse de retraite basée à Saran. Marie-France Percevault le sait, elle a de la « chance ». De la chance d'avoir un travail dans un monde de l'entreprise souvent réticent à employer des déficients auditifs. De la chance, aussi, de pouvoir disposer des ressources nécessaires pour communiquer et ne pas être cantonnée à de l'archivage. « Si on a les moyens, on peut tout faire », insiste-t-elle.
« Débrouille »
Dans les entreprises comme les collectivités, l'application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des chances, qui réaffirme le principe d'accessibilité des personnes handicapées, laisse encore à désirer. « Il y a eu une légère amélioration », concède Marie-France Percevault. En témoignent les efforts faits par la mairie d'Orléans ou par l'entreprise Leroy-Merlin à Ingré, qui ont payé des formations en langue des signes aux salariés volontaires. « Certains sourds hésitaient à venir faire leurs démarches », explique Monique, 50 ans, hôtesse d'accueil à la mairie d'Orléans, qui a suivi une initiation à la langue des signes payée par la collectivité.
« Ceux qui savent qu'on signe un peu nous réclament, remarque sa collègue, Anne, 45 ans. On ne peut pas traduire mais on se débrouille. » La débrouille trouve ses limites lors d'un entretien d'embauche ou d'une plainte au commissariat. Des situations où le recours à un professionnel devient nécessaire, voire s'impose pour l'examen du permis de conduire. Anne Dubois, 49 ans, en a fait son métier. « Diplômé, on s'engage à respecter une déontologie : tout traduire, rester neutre et garder le secret professionnel. »
On imagine la seule diplômée du Loiret débordée. Au contraire, « je ne pourrais pas en vivre », dément-elle. En cause, des frais trop peu souvent pris en charge par les collectivités, alors que la loi l'impose en matière de besoins publics. Et peut-être, aussi, une certaine réticence des sourds à faire appel à une entendante. Anne Dubois ne s'en formalise pas. « Pour certains sourds, ce sont les entendants qui sont handicapés. »
« Pour certains, je ne suis pas vraiment sourde »
Sourde depuis l'âge de 3 ans, Fanny Treffoux a créé une société de formation à la langue des signes. Ses positions ne font pas l'unanimité.
« Pas un mot », intime le professeur, l'index contre ses lèvres. Dans ce cours de langue des signes, le silence s'impose. Ce mardi soir, Fanny Treffoux, 38 ans, a choisi d'aborder le vocabulaire de l'apparence à travers le jeu de société « Qui est-ce ? ». Face à elle, se tiennent une dizaine de femmes, qui suivent ses cours en dilettante ou dans le cadre d'une formation professionnelle.
Mariée et mère d'un petit garçon de 6 ans, Fanny Treffoux est devenue sourde à l'âge de 3 ans. « C'était juste avant l'acquisition de la parole. Le fait de ne plus entendre m'a rendue muette pendant un temps », raconte celle qui est aujourd'hui « trilingue » : elle signe, lit sur les lèvres et parle. Le fruit d'un travail acharné pour « perfectionner » son langage et s‘ouvrir au monde professionnel.
« S'adapter »
Détentrice d'un BTS assistante de gestion, l'Orléanaise s'est finalement tournée vers la formation il y a quinze ans pour « s'occuper ». « J'ai beaucoup travaillé dans le milieu associatif et j'ai été médiatrice auprès d'administrations. » Il y a trois ans, elle et son mari, constatant « un manque », décident de créer une entreprise orientée vers un public de professionnels, administrations ou sociétés qui veulent améliorer l'accueil des malentendants, qu'ils soient clients, usagers ou employés.
« On a créé des formations spécialisées. Un médecin saura répondre à son patient sur les questions de santé, par exemple. Ça marche très bien. » La formatrice s'est également lancée dans des cours destinés aux sourds eux-mêmes. « Les former dans leur langue leur permet de mieux comprendre, pour qu'ils puissent s'adapter, insiste-t-elle. On ne vit pas dans un monde de sourds. On ne peut pas demander à tout le monde d'apprendre la langue des signes. » Une position qui vaut à Fanny Treffoux quelques inimitiés dans la communauté sourde. « Parce que je suis mariée à un entendant, que j'ai un travail, un enfant et que je parle, pour certains, je ne suis pas vraiment une sourde », s'indigne-t-elle. Entre deux mondes, Fanny Treffoux fait face à une double dose de préjugés.
Contact : FT Formation (tél. 02.18.88.66.88).
Des « Cafés signes » à Orléans
Depuis deux ans, l'association orléanaise « Fais-nous signes » propose aux sourds et aux entendants de se rencontrer autour d'un café. Ces « Cafés signes » ont lieu une fois par mois, toujours dans un lieu public. « L'important, c'est que les gens, qu'ils soient curieux ou indifférents, voient les signes », explique la trésorière de l'association, connue dans la communauté sourde sous le nom de « Casquette ». Ces rencontres, nées d'une volonté de « casser l'isolement des personnes sourdes », permettent aux entendants de découvrir une culture très riche et de s'initier, ou de se perfectionner, à la langue des signes.
Contact : 02.38.54.28.33 ou accueil.visuel.lsf45 @orange.fr.
Aveline Marques
http://www.larep.com/
Publié le 01 février 2011
2011/02/03 12:28
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